De Colette à Marie Noël - JAC KALLOS, POEMES, TEXTES ET PHOTOS

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De Colette à Marie Noël

Chroniques










Marie NOEL
Terrasse d'Avallon (Yonne)
ici avec poète Jacques Marlet et ses fils
Jean et Paul BEAUD
(29 juillet 1951)

Colette et Marie Noël sont nées à dix années d’intervalle et à une cinquantaine de kilomètres l’une de l’autre, la première en 1873 à Saint Sauveur-en-Puisaye et la seconde en 1883 à Auxerre. Deux vies de durée sensiblement égale qui les menèrent jusqu’en 1954 et 1967, dans lesquelles la littérature allait tenir un grand rôle, mais que pourtant tout devait s’acharner dès le début à faire diverger. Deux destinées marquées par le poids de deux formes d’éducation totalement différentes et dont on retrouve encore des échos à notre époque dans les conflits culturels qui opposent tant de jeunes filles à leurs parents.

A Saint Sauveur-en-Puisaye, l’insouciante Sido curieuse de tout, adorait sa fille et lui laissait une grande liberté dans la découverte du jardin, des fleurs, des animaux, du village, des gens, liberté dont la jeune vagabonde profita sans limites : ainsi grandit une future femme épanouie qui n’allait pas tarder à mordre dans tous les fruits de la vie à belles dents. A l’inverse, Marie, de son vrai nom Rouget, avait vu le jour dans le cadre rigide d’une famille petite-bourgeoise. Si la bibliothèque de son père, professeur de philosophie, permit à la jeune fille de s’ouvrir la littérature, en revanche, à l’inverse de Sido, Mme Rouget se comporta en réductrice de tête et confina la sienne dans les travaux ménagers, s’opposant à toute velléité d’indépendance et d’amour. Une jeunesse entravée qui allait profondément marquer la poésie de Marie Noël !  

Abandonnons Colette la Vagabonde et partons dans la poésie de Marie Noël à la découverte des traces de sa jeunesse. Certes il est difficile d’occulter l’étiquette de poète catholique qui lui est restée attachée toute sa vie. Bien sûr elle a longtemps enseigné le catéchisme à la jeunesse auxerroise, mais il me semble avoir deviné, dans la gaité légère de la vieille dame que j’eus souvent le bonheur de rencontrer au début des années 50, que la jeune fille avait en fait trouvé là un espace de liberté qui lui permettait d’échapper longuement à l’enfermement familial. Et la première parution de ses poèmes scandalisa les dames patronnesses ! Ainsi avait-elle confié au poète auxerrois Henry Dalby, qui la connaissait bien, qu’elle n’avait que la « foi du charbonnier » et qu’elle entretenait avec Dieu des rapports parfois tendus :


Quel verbe, si Dieu soit-il, pourra me rendre
le mot d’amour que personne ne m’a dit ? (1)


Mais pour autant, quand elle met Dieu en scène, c’est à l’occasion sur un ton léger, même si son jardin n’est pas l’espace libre des expériences fantaisistes de Sido, d’où la future Colette fuguait à loisir :


   Regarde le joli jardin
Que Dieu nous donna ce matin…
Nous l’avons entouré de murs…
Enfermé derrière une porte
Pour que le Vent, cet endiablé…
Quand nous dormions ne nous l’emporte (2)


Si Colette a usé trois maris  (et même pire…), Marie Noël a été la femme d’un seul amour contrarié, inabouti, qui a pesé lourdement sur sa vie et dont on retrouve la trace dans toute son œuvre. D’abord, à travers l’émerveillement du premier émoi :

  

   Quand il est entré dans mon logis clos
   J’ourlais un drap lourd près de la fenêtre,
   L’hiver dans les doigts, l’ombre sur le dos…
   Sais-je depuis quand j’étais là, sans être ?
................................................................
   Et je cousais, je cousais, je cousais…
   - Mon cœur, qu’est-ce que tu faisais (3)


Mais les parents de Marie ne voudront pas de cet amour naissant et chasseront le jeune jardinier qui l’ a inspiré. Cette tyrannie patriarcale lui inspirera Le Chant de la Muette, poème de révolte :


   La fille avait un amoureux
   Qui s’en vint frapper à la porte…
   Sitôt le père le vit :
  «  Cet effronté dit-il a trop bel appétit. »…
   Ils on mis l’amoureux dehors.
   «  Va coucher avec la servante ! » …
  La fille est sur le seuil : « Passez-moi sur le corps ! »…


Plus tard, la fille refuse d’épouser le notaire que veulent lui imposer ses parents puis, ceux-ci devenus vieux, leur apporte encore le pain et le vin  par devoir filial, mais leur fait aussi sentir le poids de sa rancune :


   -« Vieillards, voici le chandelier,
   Sous la porte, cherchez ma bouche
  Et mon cœur à la place où la chienne se couche.
   Vieillards, voici le chandelier,
  Regardez bien aux semelles de vos souliers. » (4)


Les années passent, les problèmes ne changent guère. Les malheurs de la jeune Marie Rouget ne sont guère éloignés de ceux que rencontrent encore de nos jours d’autres jeunes filles en butte au poids d’autres traditions. Et de tout cela, que reste-t-il quand il faut se résoudre à partir :


   Tout est passé, la fleur d’avril,
   La fleur du temps, la fleur de l’âge,
   L’Etoile qui fut de passage
   Au ciel fané, qu’en reste-t-il ? (5)


Premiers vers d’Alléluia, un des derniers poèmes de Marie Noël, daté du 18 avril 1967.

                                                                                                                                              Jac Kallos (juin 2013)

Notes et références.-
(1) Henry Dalby, Marie Noël, poète profane, in Hommage à Marie Noël, Points et Contrepoints, Paris 1954
(2) Chant d’enfant, in Chants des Quatre-Temps, p. 52.  Ed. Stock, Paris 1972
(3) Chanson, in Les Chansons et les Heures, Ed. G. Grès
(4) Chant de la Muette, in Chants des Quatre-Temps, p. 14 Ed. Stock, Paris 1972
(5) Alléluia, in Chants des Quatre-Temps.


( Chronique parue en mai-juin 2013 sur le site Artsetdécouvertes, repris en partie d’une émission antérieure sur une radio locale ).


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